Textes

Au fil du temps, des textes sur le travail artistique de Melody Raulin ont été écrits par différents auteurs. Artistes, journalistes, écrivains, critiques d’art, poétesse, ses oeuvres ont inspiré leurs élans. Qu’il s’agisse d’une envie de définir, d’expliquer ou simplement, d’une certaine manière, de s’associer à cette recherche sur le geste.

 

Audrey DebuysscherPoème

La poétique de la trace

Dans le cœur de sa rétine

se figure l’abstrait.

 

Elle peint

colore

grave

légère…

 

Elle imprime

et sublime.

 

Par sa main, le geste devient ÊTRE

vivant

puissant

suffisant.

 

Elle essuie le trop-plein

extrait

soustrait

balaie et,

 

conserve la quintessence

la substance.

 

Elle alchimise l’invisible

visibilise

viabilise

exquise

essence du geste ancestral…

 

Volutes en réminiscence

chimie du geste

universel

de la poétique

du praxis

de tout ce qui crée

de tout ce qui est.

 

Audrey Debuysscher

Mars 2024

Alex ChevalierPortrait

Habiter la peinture,

 

            Il y a les artistes à titres, et les autres. Ou peut-être est-ce l’inverse, question de choix. J’ai toujours accordé une grande importance aux titres, aussi, je les préfère concis et non-poétiques, donnant seulement une première clef de lecture, nous renvoyant, nous, public, à un imaginaire commun depuis lequel lire et appréhender l’œuvre.

            La première fois que j’ai rencontré celle de Melody Raulin, j’ai tout de suite retrouvé – outre mon amour pour la peinture et son histoire – ces titres que j’affectionne : Froutch, Pssshhh, Scratch, etc. autant de sonorités qui nous renvoient, non seulement à une certaine histoire de l’art – « ce que tu vois est ce que tu vois » *, que l’on pourrait aussi réinterpréter dans ce cas précis par « ce que tu lis est ce que tu vois », mais qui, chez Melody Raulin nous raconte le labeur, le temps d’atelier et les processus adoptés pour faire œuvre. Le mouvement de la main et du pinceau mis à nu, donnés à lire et à voir. Une peinture qui demande de prendre le temps, de contempler, de s’abandonner dans la matière et d’observer ces narrations qui se livrent à nous.

           

            Non-figurative, la peinture comme elle est pratiquée par Melody Raulin s’inscrit dans une tradition où la couleur, l’espace et le geste constituent la base d’un lexique que l’artiste redéfinie et enrichit constamment. Observatrice de son environnement quotidien, l’artiste porte une attention toute particulière aux accidents de l’atelier, aux tâches, à ces petits riens que l’on ne saurait plus voir. Elle nous confronte à ces formes en en faisant son propre lexique qu’elle convoque dans chacune de ses œuvres.

            Mais le geste qu’elle réalise, l’artiste s’en détache. Elle instaure une mise à distance, en nous en présentant l’image. Car si Melody Raulin réalise un acte pictural dans le sens le plus classique qu’il soit – celui d’appliquer de la matière (de la gouache) sur un support donné (généralement le papier) – c’est par l’intermédiaire du monotype, qu’elle parvient à le figer dans le temps. D’abord, l’artiste réalise une matrice, guidée par l’envie d’associer un mouvement à une couleur, ensuite, à la façon d’une photographie, une image imprimée, inversée, se révèle au regard. Cette dernière vient nous chercher et nous transporte dans la matière-même de la peinture.

            Récemment, Melody Raulin a commencé un nouvel ensemble de tissus tendus sur châssis, qui, comme pour les monotypes qu’elle réalise sur papier, se fait non par l’ajout de matière, mais par retrait. En effet, l’artiste utilise ici les tissus qui lui servent à travailler, ou plutôt à nettoyer ses plaques d’impression après chaque utilisation. De la même manière, elle exploite les bâches qui lui servent à protéger l’atelier, et sur lesquelles des traces de peintures se livrent au regard, en les exposant, tendues sur châssis. La matière est appliquée indirectement sur le support, sans autre intention que celle de l’usage, mais elle le teinte progressivement, le charge d’une qualité picturale qui lui est propre. Et ici encore, ce sont des rebuts qui font œuvre.

            Faire corps. C’est peut-être là que se joue les recherches de l’artiste. Car si cette dernière exerce seule dans son atelier, elle n’en est pas moins bien accompagnée. En effet, puisque Melody Raulin joue avec l’histoire de son médium au sein de chaque œuvre en y incluant ces camarades de jeux ; la peinture est incarnée, elle est personnifiée par l’intermédiaire de son titre qui est composé du nom, ou plutôt des initiales de ses paires et de ses ami-e-s artistes. Leur rendant ainsi hommage, l’artiste avance en regard-même de ces artistes; elle s’inscrit dans une famille picturale qui lui est propre. Elle habite la peinture.

Alex Chevalier, janvier 2022

* « What you see is what you see », Frank Stella

Alain CoulangeTexte

Une matérialisation qui ne mime rien, sauf elle-même

 

D’aucuns pourraient penser que peindre va de soi. Sait-on comment un peintre vient à la peinture ? Sait-on comment cette venue se manifeste ? Est-ce que dans le temps où le peintre va à la peinture la peinture vient à lui ? Ces considérations appellent une question plus essentielle: qu’est-ce que faire de la peinture — ou faire la peinture, comme l’exprime en raccourci Niele Toroni ? Pour Denys Zacharopoulos, « faire de la peinture consiste à instaurer, chaque fois à nouveau, le moment de sa possibilité. »1
Instaurer le moment d’une possibilité revient à adopter une position vis-à-vis de la peinture : il s’agit à la fois de la faire et de la questionner, de l’interroger en tant que telle et en tant qu’elle se manifeste comme entité générique d’où chaque tableau est retranché. L’orientation du travail de Melody Raulin, sinon la pratique, est singulière : elle peint comme sans peindre. Elle pose de la matière colorée sur un support papier mais n’utilise pas les matériaux et outils réputés indispensables pour peindre. La couleur, l’espace, la lumière sont présents : ils constituent même autant d’indices sinon de preuves que l’on peut faire de la peinture à partir de toute chose, voire que toute chose peut devenir peinture. Selon Wittgenstein, faire de la peinture est faire voir : « C’est une démarche propre à la peinture que de faire voir une tache de lumière par le moyen d’une couleur. »2 Lorsqu’un peintre peint une couleur, on peut imaginer qu’il la choisit, qu’il la distingue, ou encore qu’il l’adopte. Une couleur adoptée est une couleur possible. Une couleur possible est, pourrait-on dire, une couleur méritante, au sens où elle a su se faire choisir, a réussi à se faire peindre. Une couleur qui a su se faire choisir et a su se faire peindre est une couleur qui donne à penser. Pour Bruce Nauman, donner à penser est le plus grand effort que la peinture puisse produire. Selon ses propres termes, Melody Raulin « compose des ensembles colorés de gestes provoqués et d’accidents ». L’accroissement de ces ensembles tient à leur réitération, pour ne pas écrire à leur répétition, car au sens strict la répétition en peinture n’existe pas. Plutôt que répéter, la peinture, selon l’expression judicieuse de Gérard Gasiorowski, « emporte la peinture »3, ce qui confirme qu’on n’en invente le cours et l’ampleur qu’en l’amplifiant. Melody Raulin précise : « Mon processus explore des phénomènes inframinces, via la liquidité, le lavis ou la dispersion ». On ne trouve dans ce processus aucun véritable « sujet », aucun élément ou événement de représentation que l’on pourrait proprement identifier. Les formes que l’on rencontre ne sont pas des motifs, plutôt des propositions de perception, des potentiels de sens dont la source et l’identification ne sont pas à première vue discernables. Les phénomènes inframinces offrent au regard leur simple matérialité. Ils émergent, comme le trait du pinceau dans la peinture chinoise. Probablement ne résultent-ils pas d’un calcul mais d’une attention, c’est-à-dire d’un effort de patience, de précision, de soin. On imagine que pour peindre ainsi, fut-ce sans pinceau, il faut avoir beaucoup regardé, aussi bien le plein que le vide des choses, le rien, l’étendue de ce rien, sa vacuité. Avec l’avènement de la peinture moderne, le peintre est devenu quelqu’un qui pose clairement un regard sur les objets du monde, qui les voit. Ce que l’on regarde dans les œuvres sur papier de Melody Raulin, c’est la simplicité des couleurs et des formes, quelque chose comme une « élémentarité ». Cette notion est composée de données et de signes extraits du paysage quotidien, que nous ne voyons pas, que seule la peinture capte et dépose sur un support. Ces données et ces signes entrent mystérieusement dans la perception du peintre, qui semble être le seul à les recevoir, à les voir : « Ce qui se révèle ne se livre pas à la vue, tout en ne se réfugiant pas dans la simple invisibilité. » (Maurice Blanchot). Ce qui se révèle résulte, du moins peut-on le supposer, d’un équilibre audacieux entre ce qui a trait au hasard et ce qui a trait au calcul. À la surface du papier, la trame est couverte en partie ou en totalité mais continue à transparaître, dépasse sur les bords, forme des stries et se décline en maintes péripéties colorées. Comme en musique, l’exécution semble relever d’une improvisation contrôlée et d’une certaine insouciance : les matières jouent entre elles et déclinent librement l’éventail de leurs possibilités. L’activité des traits, des marques et taches de couleur est intense, parfois saturée. Tantôt les traces voisinent sans se recouvrir, tantôt elles se chevauchent, emplissent l’espace qui devient une sorte de paysage abstrait. Le support est appréhendé comme un matériau à part entière. C’est un espace de conversation au sein duquel dialoguent les rapports magiques de la figure et du fond, de la ligne et de la couleur, qui donne à tous ces éléments une égale présence. Un peu comme si le quoi et le comment, les sens et les signes se concertaient. Les changements, les progressions viennent de ce que tantôt l’un, tantôt l’autre va plus loin et qu’ils se contraignent ainsi perpétuellement à se dépasser pour se rejoindre. Melody Raulin pourrait reprendre à son compte ce propos judicieux de Sylvie Fanchon : « Je peins opaque, à l’horizontale, avec une matière qui doit être non neutre, non expressive, non psychologique, sans genre en quelque sorte : une matérialisation qui ne mime rien sauf elle-même. 4

Alain Coulange
Avril 2018

1 Denys Zacharopoulos, Capriccio, Adrian Schiess, L’œuvre plate, Analogues, 2005
2 Ludwig Wittgenstein, Remarques sur les couleurs (III, 77)

4 Sylvie Fanchon, Conversation avec Jean-Pierre Cometti, in cat. Sylvie Fanchon, Analogues, 2007

3 Dans un entretien avec Bernard Lamarche Vadel.

Louise Lataste© HybrideMagazine

Melody Raulin, l’art par expérimentations

Gouttes de peintures au sol et papiers au mur c’est dans ce petit atelier caché, accolé à sa maison, que nous avons rencontré Melody. Un café à la main, le mac branché et le bloc note sous le coude, notre interview était lancée.

Le travail de Melody, inimitable, se singularise par une fragilité et une légèreté en reflet avec son humeur.

L’artiste défend la peinture par la matière et saisit son rôle comme moyen d’expression et non comme échappatoire. La peinture est un plaisir, une énergie nouvelle à chaque essai ; « un puits sans fond » d’après l’artiste.

 

« A l’affût des traces » Cf. Melody Raulin

 

Melody manie avec dextérité ; éponges, vaporisateurs et bombes de peintures, menant sa création à un résultat toujours plus inventif et enclin à l’humour. Cette liberté de mouvement traduit un besoin d’expression, de changement. Un sentiment d’affranchissement naît de l’œuvre achevée, le sens est dévoilé aux yeux de l’artiste et de son spectateur.

Ses tableaux sous les noms de « Froutch! », « Fanto » ou encore « Sambidextrie » imagent cette notion d’innovation en relation étroite avec un sens créatif et humoristique sans limites.

Melody par son inventivité et son instinct artistique nous communique la peinture comme une ressource exhaustive. Une véritable tension déversée par le biais de la couleur, accompagnée d’un lâcher prise dans la gestuelle et la pose de la matière.

C’est notamment de ses précédents travaux photographiques que Melody tire son inspiration actuelle. Chaque série est guidée par une volonté de rapprocher la peinture à l’illusion d’une image imprimée, le but étant de créer avec un minimum de matière.

Pour ce faire, l’artiste use de différentes techniques et aborde différents supports.

Le scanner numérique, outil que Melody s’approprie en superposant plusieurs éléments picturaux permet des tirages uniques à même la vitre. Ce procédé d’empreinte, détourné par l’artiste, s’étend dans son travail du monotype (impressions sans gravures). C’est par pression du papier sur une plaque de plexiglas auparavant peinte, que Melody travaille. Sa technique, personnelle et singulière, donne une nouvelle conception de l’espace, toujours très libre et complètement éphémère où, le temps fait son œuvre et la peinture s’efface avant de disparaître.

Chaque création devient témoin du procédé mais n’en dévoile que le résultat. C’est de cette conception que découle un grand nombre de réalisations de l’artiste.

A la gouache ou à la bombe, Melody balaye de gauche à droite le papier, laissant apparaître des coulures au fûr et à mesure des passages, effet recherché par l’artiste comme nouvelle expérience.

Fidèle à ses créations, le travail et le savoir de Melody s’inspire aussi de nombreux artistes tels que « Roy Lichtenstein », « Renée Lévi », « Katharina Grosse », « Hans Hartung », « Mark Rothko », « Christopher Wool », ou encore « Tauba Auerbach » pour la mener vers de nouvelles conceptions.

Étudiante aux Beaux-Arts à Cergy, Lyon et Dijon, Melody a tiré du savoir acquis de son enseignement une force artistique qui bouscule les traditionnels appuis esthétiques de l’art.

C’est toujours animée par de nouvelles propositions et expérimentations qu’elle se libère des habitudes imposées par la peinture. Avec maîtrise et intuition, la matière du papier déterminera l’image et traduira des émotions de l’artiste. Ainsi guidée, Melody laisse jouer le hasard de la gouache sous le va-et-vient de son éponge, empruntant ses gestes à ceux d’un agent d’entretien. Elle devient le maître, tout en contrôle, de la peinture posée.

Sans cesse renouvelés, les desseins de l’artiste laissent entrevoir un futur riche et audacieux où pourront se concilier connaissances et inventions.

© HybrideMagazine / Louise Lataste

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